Un truquiste réalisateur de Bandes annonces TV, intermittent du spectacle de M6 obtient 140000 euros en appel (CA Versailles 26 janv. 2016)

Maître Frédéric CHHUM est l’avocat du truquiste, réalisateur de bandes annonces TV, intermittent du spectacle.

Mr X  a été engagé par la société M6, employant environ 700 salariés et filiale de groupe M6, en qualité de truquiste à compter du 1er février 2007 et jusqu’au 29 août 2014, dans le cadre de multiples contrats à durée déterminée (CDD) d’usage successifs pour la chaîne M6.

Par lettre du 28 mars 2014, Mr X  sollicitait auprès de la société M6  la requalification de ses CDD en un contrat à durée indéterminée (CDI) à temps plein.

Il saisissait le Conseil de Prud’hommes de NANTERRE le 31 mars 2014, aux fins de voir requalifier les CDD d’usage en CDI à temps plein.

Par jugement du 10 mars 2015, dont Mr X  a formé appel, le Conseil l’a débouté de toutes ses demandes.

1) Sur la requalification de ses CDDU en CDI

L'article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l'article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu'il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d'un salarié (1 ), l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise (2 ) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d'usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3 ).

Aux termes de l'article D.1242-1 du Code du travail, les secteurs d'activité dans lesquels peuvent être conclus des contrats à durée déterminée sont (....) 6° les spectacles, l'action culturelle, l'audiovisuel, la production cinématographique, l'édition phonographique (...).

Mr X  a travaillé pour la société M6  (M6) , selon plus de 200  contrats sous CDD d’usage,  pendant environ 7 ans à compter du 1er février 2007 comme monteur truquiste puis truquiste pour réaliser des bandes annonces, du graphisme vidéo et de l’habillage de la chaîne M6 (travail technique et parfois artistique de sélection et d’assemblages d’images et de sons, qui notamment permet en bas de l’écran de faire des annonces sur l’émission en cours mais aussi d’annoncer d’autres programmes) dans de nombreuses émissions ou documentaires, comme cela résulte des mentions sur ses bulletins de salaires depuis février 2007 et ses 200 CDD d’usage assortis des feuilles de présence depuis janvier 2009. Ces bandes- annonces sont depuis quelques années quasi- systématiques sur la plupart des émissions.

La fréquence du recours par la société M6   à Mr X  était, entre 2007 et 2014, chaque mois entre 8 et 22 jours par mois, avec une moyenne de 142 jours par an (de 2007 à 2013 années complètes de travail), soit environ une moyenne de 13  heures par mois ramenée sur 11 mois, en tenant compte d’un mois de congé.

Le recours à Mr X  était s’autant plus facile qu’il travaillait exclusivement pour la société M6 , n’ayant pas d’autre employeur, comme cela ressort de ses avis d’imposition des années 2007 à 2013.

Ses horaires de travail étaient réguliers, soit entre 9 ou 10h à 17/19h, soit de 17h à 2h du matin, donc sur des plages horaires constantes; le nombre de CDD a également été relativement constant, puisqu’entre 2009 et 2013, années complètes de travail, il a été signé entre 36 et 46 contrats par an.

La nature de son emploi, absolument nécessaire pour de nombreuses émissions et programmes diffusés sur M6 par la société M6  explique qu’il soit régulièrement fait appel chaque jour à des truquistes réalisant notamment des bande- annonces et des habillages d’autopromotion de M6, comme lui- même employé sous CDD, ou comme Mr Z que la société a fini par employer en CDI, et qui a travaillé avec 3 autres truquistes également en CDD au cours de la même période que Mr X .

Au vu de ces éléments établissant que l’emploi régulier de Mr X  correspondait à un emploi lié à l’activité normale et permanente de la société M6 ,  il y a lieu de requalifier cette relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2007 et jusqu’au 29 août 2014, contrairement à la décision du Conseil.

2) Sur la requalification à temps complet

Selon l’article L.3123-14 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel doit mentionner la qualification du salarié, les éléments de rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié, outre les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail prévue par le contrat.

L’absence d’une de ces mentions entraîne la requalification en contrat de travail à temps complet, et il incombe à l’employeur qui le conteste de rapporter la preuve qu’il s’agit d’un travail à temps partiel.

En l’espèce les contrats de Mr X  comportent toutes les mentions sus-énoncées, sauf celle relative aux modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée lui sont communiqués par écrit.

Il appartient donc à la société M6  de rapporter la preuve que le salarié était prévenu par avance par écrit, tant de ses jours de travail que de ses horaires de travail.

De fait, si certaines prestations de travail pouvaient être ponctuellement connues par avance, comme cela ressort de 2 mails de la société datés des 30 janvier 2014 (pour un travail en mars) et 23 juin 2014 (pour un travail en juillet/août), ce n’était pas le cas en règle générale. L’attestation de Mr Y en date du 10 décembre 2014 indique : “les intermittents soumettent à ma demande (envoi d’un SMS groupé entre le 1er et le 15 du mois) leur indisponibilité par mail...cela me permet ensuite de faire le planning du mois suivant avec au moins 15 jours d’avance; de manière exceptionnelle nous pouvons contacter les intermittents plus tardivement afin de pallier aux urgences... ».

Cependant, faute de préciser depuis quand cette organisation est mise en place et de produire des pièces établissant cette information préalable, cette attestation n’établit pas les modalités et délais de prévenance de Mr X  entre 2007 et 2013, et la société ne rapporte pas non plus la preuve qu’il était convenu de ces modalités par avance contractuellement, comme l’impose l’article L.3123-14 du code du travail.

De son côté Mr X  indique qu’aucun planning n’était connu à l’avance et donc communiqué à lui, de sorte qu’il lui était impossible de connaître son rythme de travail à l’avance.

Cette tardiveté de la connaissance de son planning de travail est confirmée par la date de signature des contrats, signés tous le premier jour de travail de la période concernée. Mr X  ne pouvait donc prévoir avec certitude et par avance ses temps de travail suivant les mois, ce qui ne lui permettait pas de trouver un autre travail pour compléter son temps partiel.

Par ailleurs, comme l’indique à raison Mr X , pour le mois de septembre 2010, il a travaillé 161h, en dépassant la durée légale du travail de 151,67h, ce qui est un autre motif de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à temps plein.

Dès lors, Mr X  étant à la disposition permanente de son unique employeur, la société M6 , il convient de faire droit à ses demandes de requalification à temps plein et de rappel de salaire sur les périodes interstitielles non travaillées entre les contrats.

3) Sur la demande de rappels de salaires

La société M6  (M6), excipant de la saisine du Conseil après la loi du 14 juin 2013, modifiant la loi de 2008, ramenant la prescription des demandes à caractère salarial de 5 à 3 ans, soulève la prescription de la demande de rappel de salaires pour la période antérieure au 29 août 2011, soit 3 ans avant la fin des relations contractuelles intervenue le 29 août 2014.

Or, depuis la loi du 14 juin 2013 ayant modifié l'article 3245-1 du Code du travail, toute action en paiement ou répétition de salaires se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, date de promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit 5 ans.

En l'espèce, Mr X  a saisi la juridiction prud'homale le 31 mars 2014, pour réclamer notamment des rappels de salaires du 31 mars 2009 au 29 août 2014, remontant à 5  ans avant la saisine du Conseil, à une date où son action n'était pas encore prescrite puisqu’elle était en cours au 16 juin 2013, de sorte que son action est recevable dans cette limite de 5 ans.

A partir du moment où la requalification est ordonnée pour un travail à temps plein, il y a lieu de se demander quel aurait été le montant de son salaire à temps plein; si l’on reprend le salaire horaire du temps de la relation contractuelle, soit 304 € la journée de travail de 8h (10 à 18h, ou de 9 à 17h) on aboutit à un salaire de 38 € brut de l’heure, ce qui donne, sur la base d’un travail de 151,67 h par mois, un salaire mensuel de 5763,46 € brut.

Dans la mesure où Mr X  ne forme pas ses demandes sur cette base théoriquement reconstituée de manière rétroactive, mais sur un salaire inférieur, qu’il aligne sur le salaire actuel réel de son collègue , Mr Z, travaillant en CDI à temps complet, ses demandes, qui ne sont ni excessives ni déconnectées de la réalité, seront retenues.

Les rappels de salaire portent sur la différence entre la moyenne des salaires qu’il aurait dû percevoir et les salaires effectivement perçus; cette différence donne droit à un rappel de salaires,  sur la base du salaire mensuel de Mr Z  (titulaire d’un CDI ) soit la somme mensuelle de 4200 € brut, du 31 mars 2009 au 29 août 2014, selon les calculs mentionnés dans le tableau en page 19 de ses conclusions, soit la somme de 32 857 €, outre 3285,70 € au titre des congés payés afférents. Sur le rappel de prime de fin d’année ou 13 ème mois Les salariés permanents, employés en CDI par la société M6 , perçoivent une prime de fin d’année égale à un mois de salaire d’une année complète, avec un prorata en cas d’année incomplète.

Mr X  étant désormais considéré comme un salarié en CDI, est en droit de percevoir cette prime, au prorata de sa présence, pour les années non prescrites, entre le 31 mars 2009 et le 30 novembre 2014 (après prise en compte de son préavis de 3 mois à compter de fin août 2014), période qu’il limite toutefois au 31 août 2014, ce que la Cour retiendra ne pouvant statuer au delà, soit : 4200 € x 5,4 ans = 22 680 €. La société M6  sera condamnée à lui payer cette somme de 22 680 € brut au titre des primes de fin d’année, pour les années 2009 à 2014.

4) Sur la rupture de la relation contractuelle et la demande de nullité avec réintégration

A l’appui de cette demande, Mr X  invoque l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, consacrant la liberté fondamentale du salarié d’ester en justice; il estime que la rupture des relations contractuelles est intervenue à titre de rétorsion en réponse à sa saisine du Conseil de Prud’hommes (CPH).

Le 28 mars 2014 Mr X , avant toute demande amiable, a demandé, par le biais de son avocat, la requalification de ses contrats en un contrat à durée indéterminée, annonçant la saisine du CPH, ce à quoi la société M6  a rétorqué, par lettre du 7 avril 2014 qu’elle était disposée à lui proposer un CDI à compter de mai 2014, comme elle le lui avait proposé lors d’une réunion du 18 mars 2014 (faisant la même proposition à d’autres intermittents), mais sans accepter la requalification demandée pour le passé.

Comme l’indique Mr X  aucun travail ne lui était alors proposé pour la fin du mois d’avril  après le 18 avril 2014, puis seulement 3 jours de travail lui était proposé en mai 2014, et enfin 5 jours en juin 2014, ce qui diminuait de fait son salaire de manière importante en mai et juin.

Il apparaît donc que la société M6  a réduit de manière drastique le nombre d’heures de travail de Mr X  pendant 2 mois, après que ce dernier ait saisi le CPH en vue de la requalification de la relation contractuelle, et malgré sa mise en demeure de lui fournir du travail, par lettre recommandée du 30 avril 2014.

Par lettre du 20 mai 2014 la société soutenait que la diminution du recours à Mr X  était motivée par l’optimisation de l’outil graphique et l’utilisation plus fréquente de l’outil “after effect” (non maîtrisé par le salarié) au détriment de l’outil “smoke”(maîtrisé par le salarié), ce qui est contesté par le salarié et ce dont la société ne justifie par aucune pièce. Par la suite, la société M6  a proposé à nouveau suffisamment d’heures de travail en juillet et août 2014 à Mr X  qui les a acceptées par un mail du 17 juin 2014.

Puis, des négociations se poursuivaient au cours du mois de juillet 2014 entre les parties pour la proposition d’un CDI, mais sans trouver d’accord, la société M6  proposant un CDI à temps partiel sur la base de 104h par mois pour un salaire de 2468 € brut/mois, alors que Mr X  demandait un CDI à temps plein pour un salaire de 5000 € brut, étant précisé qu’en moyenne il avait perçu en 2013 un salaire de 4042 € brut/mois.

C’est ainsi que par lettre du 1er août 2014, la société M6  mettait un terme aux relations contractuelles, en précisant que faute d’accord de Mr X  pour un CDI sur les bases proposées, ce dernier effectuerait sa dernière prestation de travail le 29 août 2014. Par la suite, la société M6  proposera à un collègue de Mr X  , Mr Z également truquiste pour M6 mais pour moins d’heures que lui, un CDI à temps plein moyennant un salaire de 4200 € brut, comme cela ressort du contrat de travail produit.

La saisine du Conseil a certes eu pour effet de réduire le temps de travail de Mr X , lui occasionnant un préjudice financier réparé par les rappels de salaire, mais sans conduire à la rupture des relations contractuelles. La demande en nullité est donc rejetée.

5) Sur la demande subsidiaire de licenciement sans cause réelle et sérieuse

 Lorsqu’un contrat de travail à durée déterminée est requalifié en contrat à durée indéterminée postérieurement à son exécution, la relation contractuelle se trouve rompue de fait et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la date du premier jour suivant celui auquel l’employeur, qui s’estimait à tort lié au salarié par un contrat de travail à durée déterminée venu à échéance, a cessé de lui fournir un travail et de le rémunérer. (Cass 23 septembre 2014 n°13- 14- 896)

En employant régulièrement  Mr X  pendant environ 7 ans la société  M6  devait lui fournir du travail, au regard de son emploi à caractère permanent. En mettant fin aux relations de travail aux seuls motifs, d’une part  de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par la société de contrat de travail à durée déterminée, et d’autre part du refus de Mr X  de sa proposition d’un CDI sur la base d’un salaire largement inférieur à celui qu’il percevait depuis plusieurs années, la société M6  a pris l’initiative de la rupture du contrat de travail sans motifs légitimes; dès lors, cette rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au profit de Mr X  au paiement des indemnités de rupture et de requalification.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé. Sur l’indemnité de requalification Aux termes de l’article L1245-2 du Code du travail, lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s'applique sans préjudice de l'application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.

Mr X  estime qu’il a été illégalement soumis à un statut précaire alors qu'il a travaillé au service de la Société de manière quasi- ininterrompue pendant plus de 7 ans et qu'il occupait un poste permanent. Cependant il a réussi à travailler de manière régulière pour un salaire d’un montant satisfaisant, ce qui limite son préjudice financier et permet d’estimer son préjudice à la somme de 5000 €. Sur l’indemnité de préavis, l’indemnité conventionnelle de licenciement et l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

6) Sur les indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La société devra également lui verser, au titre de l’indemnité de préavis de 3 mois, les sommes de 12 600 € brut, outre 1260 € brut au titre des congés payés afférents. L’ancienneté liant Mr X  avec la société M6  (M6), soit du 1er   février 2007 au 31 août 2014, lui donne droit, selon la convention collective à une indemnité de licenciement égale à 50 % d’une mensualité par année de service au delà de 2 ans d’ancienneté, calculée comme suit : 7,5 années x 0,50 x 4200 € = 15 750 €.

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande reconventionnelle de la société, tendant à la déduction des indemnités de fin de contrat et de formation qu’elle a versées à Mr X , ces indemnités restant acquises au salarié nonobstant la requalification de son contrat.

L’article L. 1235- 3 du code du travail, dans le cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité, qui ne peut être inférieure aux 6 derniers mois de salaire pour un salarié ayant plus de 2 ans d’ancienneté. Au regard de l’ancienneté de Mr X  (environ 7 ans), du montant de son salaire (4200 €) et de sa situation actuelle de chômage depuis la perte de son emploi, il lui sera alloué la somme de 45 000 € à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au total, le salarié intermittent du spectacle obtient environ 140000 euros bruts devant la Cour d’Appel de Versailles.

 

Frédéric CHHUM Avocat à la Cour

4, rue Bayard 75008 Paris

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