Droit des journalistes : Télérama condamnée à réintégrer une journaliste suite son licenciement consécutif à la saisine du conseil de prud’hommes (CA Paris 2 mai 2024)
-Dans un arrêt du 2 mai 2024 (RG 21 /00021), la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Paris qui a ordonné la réintégration d’une journaliste pigiste de Télérama suite à son licenciement du 20 décembre 2017 consécutif à sa saisine du conseil de prud’hommes de Paris.
La relation de travail avait été requalifiée en CDI à temps complet.
La Cour d’appel de Paris confirme l’indemnité d’éviction octroyée par le juge départiteur du conseil de prud’hommes de Paris du fait de la nullité de la rupture ainsi que les rappels de salaire pendant les périodes intercalaires du fait de la disposition permanente.
1. Sur le licenciement
1.1 : Sur la nullité du licenciement
La nullité du licenciement comme lié au harcèlement moral en application de l’article
L.1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail n’est pas encourue en l’absence de reconnaissance de celui-ci.
Par texto du 19 octobre 2017 une secrétaire, Mme Z, indiquait à Mme X que son supérieur hiérarchique avait été très surpris d’apprendre que l’on avait conseillé à celle-ci de prendre un avocat. Un avis d’aptitude médicale donné par le médecin du travail a été dressé le 2 novembre suivant et la procédure de licenciement a été engagée par lettre de convocation à un entretien préalable du 16 novembre 2017.
Cette chronologie et les motifs du premier juge que la cour adopte établissent que le licenciement a été provoqué par l’intention de la salariée d’agir en justice.
Ainsi cette rupture viole la liberté fondamentale d’agir en Justice proclamée par le préambule de la constitution de 1946 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme.
Il s’ensuit que le licenciement est nul.
La réintégration sollicitée par la salariée est de droits et sera ordonnée.
1.2 : Sur le remboursement des indemnités de chômage
Au vu des motifs qui précèdent, il sera ordonné le remboursement des indemnités Pôle
Emploi en confirmation du jugement déféré en application de l’article L.1235-4 du Code du travail.
1.3 : Sur les salaires postérieurs au licenciement
Mme X sollicite le paiement des salaires échus entre la date de la rupture et sa réintégration, soit du 11 octobre 2017, dernier jour travaillé à octobre 2020, dernier mois précédant le jugement prononçant sa réintégration. Elle fixe sa créance à la somme de 121 819 euros équivalant à 36,5 mois de salaire, le salaire mensuel étant évalué 3 337,53 euros, à quoi elle ajoute l’indemnité de congés payés y afférents, soit la somme de 12 181 euros. Elle se déclare recevable à solliciter pour la première fois, postérieurement à ses premières conclusions d’appel, cette indemnité de congés payés, en ce que celle-ci s’intègre dans l’indemnité d’éviction d’un montant total de 134 000 euros, correspondant à l’addition des rappels de salaire et de l’indemnité de congés payés y afférents.
La société Télérama SA soulève au contraire l’irrecevabilité de cette demande nouvelle d’indemnité de congés payés comme contraire au principe de la concentration des demandes édicté par l’article 910-4 du Code de procédure civile. Le salaire à retenir selon l’employeur est la salaire conventionnel soit la somme de 1 498 euros par mois ou à défaut celui qui lui a été servi lors de son dernier contrat à durée déterminée, déduction faite de ce que le salarié a perçu au cours de la période considérée. Il soutient que faute par le salarié de justifier de ce qu’il n’a rien perçu à cet égard, il doit être débouté de sa demande.
Sur ce
Aux termes de l’article 910-4 du Code du travail, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, poursuit ce texte, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Sur ce
Le droit méconnu qu’est le droit d’agir en Justice résulte du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, de sorte que la salariée a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu’elle ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période.
L'indemnité d'éviction due au salarié qui a fait l’objet d’un licenciement nul a, de par la loi, le caractère d'un complément de salaire. Il en résulte que cette indemnité ouvre droit à des congés payés.
Une nouvelle jurisprudence issue d’un arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 2021 qui reconnaît le droit à une indemnité de congés payés sur l’indemnité d’éviction en ce qu’elle a le caractère d’un complément de salaire ne caractérise pas une question née postérieurement aux premières conclusions, mais seulement une réponse à une question née antérieurement aux premières conclusions. La question du droit à l’indemnité de congés payés ne résulte par plus de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Par suite, elle est irrecevable.
L’indemnité d’éviction recouvre les salaires perdus pendant la période litigieuse. Ce salaire ne correspond ni au salaire conventionnel, ni au dernier salaire perçu, mais au salaire que l’intéressé aurait dû percevoir pendant la période d’éviction.
La cour retient à l’instar du premier juge la rémunération mensuelle de 2 686,42 euros brut, ce qui donne sur les mois couvrant la période comprise entre le 20 décembre 2017, date de notification du licenciement, et la fin du mois de novembre 2020, pour tenir compte de la date de signification du jugement de première instance, la somme de 3594 024,70 euros, L’indemnité d’éviction sollicitée couvre la période comprise entre la date du licenciement
et la date du jugement qui ordonnait la réintégration avec exécution provisoire.
1.4 : Sur la remise tardive de l’attestation Pôle Emploi
Mme X sollicite l’allocation de la somme de 3 000 euros en réparation de la remise tardive et intentionnelle par l’employeur de son attestation Pôle Emploi.
La société Télérama SA répond que l’intéressée demande deux fois la réparation du même préjudice, puisqu’elle réclame à la fois les salaires échus après la rupture et le bénéfice d’une attestation Pôle Emploi qui lui aurait procuré des indemnités de chômage auxquelles elle n’avait pas droit.
Il est constant que Mme X a réclamé à la société Télérama SA son attestation Pôle Emploi par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 mars 2018 et du 19 mars 2018, n’a obtenu satisfaction que par suite d’une ordonnance du bureau de conciliation et d’orientation du conseil des prud’hommes.
De ce fait, alors qu’il fallait qu’elle attende une décision de justice exécutoire pour obtenir paiement d’une indemnité correspondant aux salaires perçus, elle s’est trouvée sans ressources.
Ce manquement de l’employeur justifie l’allocation de la somme de 2 000 euros.
2. Sur la demande de publication, les intérêts, la demande de dommages-intérêts pour transmission tardive de l’attestation Pôle Emploi, sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Mme X sollicite la publication dans les journaux Le Monde et Télérama de la présente décision.
Toutefois, une telle mesure, qui a plutôt valeur d’exemplarité pénale, n’est pas de nature à réparer un quelconque préjudice subi par Mme X et cette demande sera rejetée.
Les sommes allouées de nature contractuelle, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation du conseil des prud’hommes. Les autres sommes de nature indemnitaire porteront intérêts à compter de la décision qui les a prononcées. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu’il l’est demandé, dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Il est équitable au regard de l’article 700 du code de procédure civile de condamner la société Télérama SA qui succombe sur l’essentiel à payer à Mme X la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d’appel.
Pour le même motif, l’employeur sera condamné aux dépens.
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Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
e-mail: chhum@chhum-avocats.com
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