Déontologie : un bureau dans un centre d’affaires loué ponctuellement par un avocat constitue un domicile professionnel effectif (cass. civ. 1ère 14 dec. 2022, n°21-17.141)
-Dans un arrêt du 14 décembre 2022 (n° 21-17.141), la première chambre civile de la Cour de cassation a estimé, qu’un bureau dans un centre d’affaires loué ponctuellement par un avocat constituait un domicile professionnel effectif garantissant l’exercice de sa profession dans le respect de ses principes essentiels, notamment de dignité et d’indépendance, et dans le respect du secret professionnel.
1) Solution.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le bâtonnier de Paris aux motifs suivants :
« Ayant retenu que, si Mme [E] avait reconnu travailler depuis son domicile personnel situé à [Localité 3] et venir régulièrement à [Localité 4] pour son activité professionnelle, elle justifiait d’une location effective, depuis le 10 mai 2010, d’un bureau dans un centre d’affaires sis à [Localité 4] où l’ensemble des courriers relatifs à la procédure de contrôle de sa comptabilité et à la procédure disciplinaire lui avaient été adressés et où le contrôle de comptabilité avait été effectué, que cet espace lui permettait de faire accueillir ses clients par un service dédié et de recevoir au moins deux personnes dans un lieu assurant la confidentialité et qu’elle disposait d’une ligne téléphonique et d’un service de transfert de courrier, la cour d’appel a pu en déduire que Mme [E], qui justifiait ainsi d’un domicile professionnel effectif garantissant l’exercice de sa profession dans le respect de ses principes essentiels, notamment de dignité et d’indépendance, et dans le respect du secret professionnel, n’avait pas méconnu son obligation relative au domicile professionnel ».
La Cour de cassation estime que l’avocate justifie en l’espèce d’un domicile professionnel effectif garantissant l’exercice de sa profession dans le respect de ses principes essentiels, notamment de dignité et d’indépendance, et dans le respect du secret professionnel.
L’avocate n’a donc pas méconnu son obligation relative au domicile professionnel.
2) Analyse.
Pour rappel, le domicile professionnel de l’avocat est régi par les textes suivants :
. L’article 165 du décret du 27 novembre 1991 : « Sous réserve des dispositions des articles 1er-III et 8-1 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, l’avocat est tenu de fixer son domicile professionnel dans le ressort du tribunal judiciaire auprès duquel il est établi » ;
. L’article 15 du RIN : « L’avocat doit exercer son activité professionnelle dans des conditions matérielles conformes aux usages et dans le respect des principes essentiels de la profession. Il doit aussi veiller au strict respect du secret professionnel et justifier d’une adresse électronique » [1] ;
. L’article P. 31 du RIBP : « L’avocat inscrit au tableau de l’Ordre doit exercer effectivement sa profession dans le ressort du barreau et, en conséquence, disposer à Paris d’un cabinet conforme aux usages et permettant l’exercice de la profession dans le respect des principes essentiels » [2].
Alors même que le domicile professionnel de l’avocat se doit d’être effectif et stable, la Cour de cassation en adopte, pour la première fois à notre connaissance, une vision moderne.
La conception plus traditionnelle d’un cabinet d’avocat établi de façon permanente avec des locaux propres, sur laquelle s’était fondé l’ordre des avocats de Paris, semble donc dépassée.
En 2016, la Cour d’appel de Paris avait retenu une solution plus classique en considérant que
« Le fait que Mme [V] déclare louer un local lorsque le besoin s’en fait sentir ne permet pas de considérer qu’elle dispose d’un domicile professionnel effectif et stable auquel ses clients peuvent s’adresser à tout moment pour la défense de leurs intérêts » [3].
Toutefois la contradiction avec l’arrêt de la Cour de cassation est à nuancer car en l’espèce l’avocate ne produisait aucun contrat de location ou de mise à disposition permettant de vérifier la durée pendant laquelle elle aurait utilisé le local pour recevoir sa clientèle.
En revanche, la modernité adoptée par la Cour de cassation suit celle du Conseil national des Barreaux (CNB) qui considère que certains lieux d’exercice de la profession ne sont pas interdits s’ils permettent à l’avocat de respecter les principes essentiels de la profession, en particulier la protection du secret professionnel.
C’est le cas concernant le partage de locaux chez un confrère (CNB, avis n° 2010-007 du 29 mars 2010) ou avec d’autres professionnels (CNB, avis n° 2014-002 du 27 janvier 2014 pour un cabinet d’experts-comptables), un bureau dans un espace d’entreprises géré par une CCI locale (CNB, avis n° 2016-80 du 16 décembre 2016) ou encore au sein d’un espace de coworking (CNB, avis n° 2019/0 40 du 25 novembre 2019) (Cf Cécile Caseau-Roche, Précisions sur le choix du domicile professionnel de l’avocat, Dalloz Actualités, 4 janvier 2023).
La première chambre civile semble en tout état de cause suivre l’évolution de la société et des modes d’organisation du travail.
Le développement des centres d’affaires est en effet en plein essor et permet à de nombreux travailleurs, entreprises ou associations de louer des bureaux seulement à la hauteur de leurs besoins, sans investir une forte somme dans des locaux et du matériel.
Le débat est recentré sur la vérification du respect des principes essentiels de la profession, tels que la dignité, l’indépendance ou le secret professionnel, plutôt que de s’attacher à la seule apparence d’un domicile professionnel au sens rigide du terme.
Toutefois, la solution pourrait ne pas être la même s’agissant d’un autre centre d’affaires, étant donné que des moyens factuels ont été déterminants dans la solution retenue par les juges de cassation.
En effet, en l’espèce :
. L’avocate justifiait d’une location effective d’un bureau dans un centre d’affaires où ses courriers professionnels lui avaient été adressés et où le contrôle de comptabilité avait été effectué ;
. Elle pouvait faire accueillir ses clients par un service dédié et recevoir au moins 2 personnes dans un lieu assurant la confidentialité ;
. Elle disposait d’une ligne téléphonique et d’un service de transfert de courrier.
La portée de cet arrêt reste incertaine. En effet, les faits ayant eu lieu en 2015, l’article P. 48.2 du RIBP, inséré en 2019, n’était alors pas applicable. Or, cet article
prévoit que : « Seules sont autorisées les installations dans un centre d’affaires […], aux conditions du présent article.
Les conditions d’exercice en centre d’affaires doivent respecter les principes essentiels de la profession d’avocat.
L’occupation de locaux, sous quelque forme que ce soit, au sein d’un centre […] est impérativement à temps plein.
Le cabinet d’avocat doit avoir la garantie de l’autonomie des locaux.
Il doit notamment garantir l’indépendance d’une salle d’attente, le cas échéant, de bureaux fermés, des services de reproduction ou d’impression, des installations informatiques et des archives tant matérielles qu’informatiques.
[…]
Le contrat qu’il souscrit doit être soumis préalablement au service de l’exercice professionnel de l’Ordre avec le plan de l’installation que l’avocat aura dûment certifié conforme, et comporter les clauses annexées au présent règlement.
Ces dispositions ne concernent pas les centres d’affaires se consacrant exclusivement aux avocats ».
Le contrat conclu entre le centre d’affaires et l’avocat doit donc comporter certaines clauses, exposées au sein de l’annexe XIII-C du RIBP :
« A titre liminaire, il est précisé que les clauses suivantes dérogent à toutes clauses différentes ou contraires du présent contrat et sont réputées impulsives et déterminantes du consentement des parties en ce qu’elles permettent le respect des principes essentiels de la profession d’avocat.
. Bureau : le prestataire met à disposition de l’avocat un bureau à temps complet, privatif, exclusif et fermant à clef. Il est permis au prestataire de modifier l’attribution du bureau de l’avocat en lui accordant un délai de préavis d’un mois minimum. Le bureau mis à disposition doit présenter une opacité de l’extérieur suffisante pour assurer le respect du secret professionnel et la confidentialité des travaux effectués au sein du bureau.
. Salle d’attente (le cas échéant) : le prestataire garantit que des salles d’attente privatives, ou offrant des conditions de discrétion suffisantes pour les clients, soient disponibles pour l’avocat, afin que ses clients soient reçus dans la plus grande confidentialité.
. Salle de réunion (le cas échéant) : la salle de réunion doit garantir le respect du secret professionnel et la confidentialité des échanges.
. Services communs (le cas échéant) :
- Imprimantes : le prestataire met à disposition de l’avocat une imprimante sur laquelle les documents ne peuvent être édités qu’en présence de l’avocat après composition d’un code personnel ;
- Serveur informatique : le serveur informatique mis à disposition par le prestataire doit être strictement distinct de celui de l’avocat.
. Clauses de déplacement du mobilier et d’accès du Prestataire au bureau :
- Le Prestataire ne pourra effectuer une visite dans le local qu’en la présence de l’avocat concerné, après avoir pris rendez-vous avec ce dernier, hormis pour le ménage et les réparations urgentes ;
- La disposition du bureau ne pourra être modifiée qu’en présence de l’avocat, après que ce dernier en ait été avisé ;
- Le prestataire s’interdit toute intervention sur le matériel informatique de l’avocat.
. Clauses sur la vidéosurveillance : la mise en place de caméras de sécurité au sein du centre d’affaires ne peut qu’être conçue restrictivement, conformément aux exigences de confidentialité et du respect du secret professionnel. L’emplacement précis de chaque caméra de sécurité doit être prévu expressément. Les caméras ne peuvent en aucun cas capter et/ou enregistrer d’images à l’intérieur des espaces à disposition de l’avocat. Les enregistrements ne peuvent être consultés qu’en présence du Bâtonnier ou de son délégué.
. Clause d’arbitrage : tout différend né à l’occasion de la présente convention sera soumis au Règlement d’Arbitrage du Centre de Règlement des Litiges Professionnels.
. Clauses de résiliation : la faculté de résiliation doit être ouverte aux deux parties au contrat. Le prestataire ne saurait reprendre possession des locaux occupés qu’après l’expiration d’un délai d’un mois suite à la mise en demeure infructueuse, en présence de l’avocat, et à défaut en l’ayant convoqué et en présence du Bâtonnier ou de son délégué ».
En l’espèce, l’avocate n’occupait pas les locaux du centre d’affaires en temps plein, et les clauses du contrat n’ont pas été analysées. La solution pourrait donc ne pas être la même à l’avenir.
Pour lire l’intégralité de la brève, cliquez sur le lien ci-dessous.
Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
e-mail: chhum@chhum-avocats.com
https://www.instagram.com/fredericchhum/?hl=fr
.Paris: 34 rue Petrelle 75009 Paris tel: 0142560300
.Nantes: 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes tel: 0228442644
.Lille: : 45, Rue Saint Etienne 59000 Lille – Ligne directe +(33) 03.20.57.53.24
Commentaires
Rédigez votre commentaire :
Les réactions des internautes
<% comment.content %>
<% subcomment.content %>