Sales specialist - Compagnie IBM France condamnée à payer 353 000 euros à un Sales specialist pour rappel de rémunération variable, harcèlement moral, licenciement nul (CA Versailles 2 oct. 2024)

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Dans un arrêt du 2 octobre 2024, la Cour d’appel de Versailles condamne Compagnie IBM France à payer la somme de 353 551 euros à un sales specialist pour rappel de rémunération variable (159 228 euros), harcèlement moral (5 000 euros), forfait jours privé d’effet (1 000 euros), licenciement nul du fait de la résiliation judiciaire du contrat de travail (120 000 euros), rappel de préavis et d’indemnité de licenciement (64 313 euros).

Pour condamner au rappel de rémunération variable, la Cour d’appel a relevé notamment la tardivité des objectifs donnés au salarié, le caractère potestatif de la clause de « Transaction significative » et l’usage (refus du salarié d’objectifs inatteignables).

L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles (Chambre sociale 4-4) est très motivé. Il faut saluer l’étude du volumineux dossier et la qualité d’écriture de la magistrate de la Cour d’appel qui a rédigé l’arrêt.

D’ailleurs, l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est définitif, les parties ne s’étant pas pourvu en cassation.

2.1) Sur la rémunération variable de 2016 à 2019

Il appartient à l'employeur de justifier des faits générateurs de commissions et du calcul de la part variable de la rémunération convenue pour une année ( cf Soc., 1 juillet 2020, pourvoi n° 18-23.851).

Lorsque la prime allouée au salarié dépend d’objectifs définis par l’employeur, ceux-ci doivent être communiqués au salarié en début d’exercice, à défaut de quoi, la prime est due dans son intégralité (cf Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-11.934 ; Soc.,7 juin 2023, pourvoi n° 21-23.232).

 Lorsque le salarié a droit au paiement d'une rémunération variable reposant sur l'atteinte d'objectifs, il appartient à l'employeur de fixer les objectifs servant au calcul de la rémunération variable. Par ailleurs, lorsque les modalités de calcul sont déterminées par l'employeur, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération variable a été effectué conformément aux modalités prévues, et il appartient à l'employeur de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié pour les années de référence ont été atteints.

A défaut, il incombe au juge de fixer le montant de la rémunération en fonction des critères convenus entre les parties et des éléments de la cause.

Au cas particulier, le salarié, qui sollicite un rappel de rémunération variable dans le dispositif de ses conclusions, fait valoir dans la partie relative à la résiliation judiciaire de ses conclusions que la Compagnie IBM France a commis des manquements l’empêchant de prétendre à sa rémunération variable, ce que conteste l’employeur.

Le contrat de travail du salarié ne prévoit pas un mode de rémunération variable mais il n’est pas discuté que le salarié a perçu chaque semestre depuis l’année 2010 une rémunération variable qu’il intitule “lettres d’objectifs” ou encore “quota letter” (pièces n° 10 à 12- 61-129-132) et l’employeur “Plan de commissionnement”(pièces n° 3 à 5- 37- 68-104-135 et 136), la première page de ces documents comprenant les informations relatives aux données chiffrées du plan étant en langue anglaise et ces plans étant dénommés sur ces documents “ Team Quota Player Sales » ou “TQP”.

Si l’employeur invoque jusqu’en 2019 des plans de commissionnements appelés “ Pool Plan” qui ont pris la forme d’un “performance Pool Plan- PPP” ou d’un “ Team Quota Plan- TQM”, seule la mention“ TQP SALES” y est mentionnée.

Il n’est ensuite pas contesté que pour calculer le montant de la rémunération variable par semestre, l’employeur détermine un montant dit « OTE » (« On Target Earnings » ou rémunération totale à objectifs atteints, soit la rémunération globale incluant fixe et variable), qui correspond à 140% de la

« RTR » (« Rémunération théorique de référence ») et ces plans de rémunération variable se décomposent de la manière suivante :

-70 % correspondant au salaire fixe, soit 37 618 euros bruts semestriel ou 6 270 euros bruts mensuel en 2019

- 30 % correspondant à la rémunération variable dénommée « commission », soit la somme de

16.122 euros bruts semestriel.

 Chaque lettre d’objectifs détermine, en langue anglaise non traduite au dossier, le “ territoire” cible à atteindre en terme de chiffre d’affaires, 85% de l’objectif à atteindre concernant les contrats en cours et les nouveaux contrats à signer et 15% de l’objectif concernant les contrats dits “ challenges” fixés par le manager du salarié.

 Un document intitulé “informations complémentaires concernant le Plan de Motivation de la vente IBM France” est édité chaque année. Il présente, en langue française, les conditions de mise en œuvre du plan à la vente et s’applique à tous les collaborateurs qui ont accepté la lettre d’objectifs et de structure de rémunération “Incentive Plan letter” (pièces n° 65 à 67 du salarié).

 Le salarié a atteint les objectifs-cibles de revenus sur les contrats en cours et pour les nouveaux contrats, étant le seul à intervenir sur le périmètre France, comme suivant:

- en 2016 : 163,5%

- en 2017 : 97%

- en 2018 : 115%.

 D’abord, il ressort du dossier que les objectifs dits “ challenges” représentant 15 % de la rémunération variable du salarié n’ont pas été définis par l’employeur en 2016 et ne lui ont été communiqués qu’au mois de juin pour l’année 2017. Il n'est pas contesté qu'un exercice s'entend d'une période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre de la même année, c'est-à-dire l'année civile.

Pour le 1er semestre 2018, le salarié produit la note de fixation des objectifs du 20 avril 2018 au titre du premier semestre 2018 alors qu’il a réclamé la “ quota letter” dès le 15 mars 2018, le document reçu le 17 février 2018 invoqué par l’employeur (pièce n°17 du salarié) ne correspondant pas à la lettre semestrielle d’objectifs. En outre, 15 % de la rémunération variable du salarié en 2018 correspond à des objectifs dénommé “ challenges” qui ne lui ont été notifiés que le 22 mai 2018 (pièce n° 72 du salarié).

S’agissant du second semestre 2018, les objectifs “challenges” ont été notifiés au salarié tardivement le 26 septembre 2018, le semestre étant déjà bien entamé.

Pour l’année 2019 le salarié établit que les objectifs dits “ challenges” représentant 15% de sa rémunération variable ne lui ont pas été notifiés pour le 1er semestre. Par courriel du 20 avril 2019, le salarié a indiqué à son supérieur hiérarchique, qui ne l’a pas réfuté, que “ la réunion sur les nouveaux contrats n’a eu lieu que le 6 avril”. Pour le second trimestre, le salarié justifie que les objectifs “ challenges” ne lui ont été transmis que le 31 octobre 2019 (au titre du 4ème trimestre) ce qui est également tardif alors qu’il ne restait que deux trimestres à travailler.

 La seule transmission tardive des objectifs au salarié en 2018 et 2019 justifie qu’il soit fait droit à la demande de rappel de commission sur la totalité de la somme réclamée, le salarié n’ayant pas eu suffisamment tôt les éléments lui permettant de connaître les résultats à atteindre pour prétendre au paiement de l’intégralité de la rémunération variable.

En revanche, le salarié n’établit pas le caractère “ inatteignable” des objectifs pour le 1er semestre 2019 et il ne ressort pas des pièces produites que les objectifs fixés au salarié étaient supérieurs à ceux de ses collègues (pièce n° 61 et 68).

Ensuite, si le salarié a sollicité que l’employeur lui fournisse les éléments justifiant du montant de ses commissions en fonction de l’atteinte de ses objectifs, ce ne fut pas le cas.

 En effet, la cour n’est pas en mesure, à partir des pièces produites (les lettres d’objectifs et le “ Plan de Motivation” annuel outre les tableaux de réalisation des objectifs par trimestre), de déterminer les modalités précises de calcul de la rémunération variable du salarié pour la période de 2016 à 2019, ce qui ressort par exemple du courriel du supérieur hiérarchique du salarié du 11 juin 2019 qui explique que le salarié “ est géré directement par Patrick Bauer qui prend la décision de l’affectation des fonds.

 

Après concertation avec P, son premier critère d’affectation est la performance du marché versus sa cible de revenus”, confirmant ainsi la complexité de la détermination de l’objectif, qui n’est pas expliqué de manière précise au salarié.

 C’est donc à juste titre que le salarié se prévaut de l’absence de détermination du pourcentage d’atteinte de ses objectifs et des règles de calcul des commissions versées, alors que l’employeur indique dans ses conclusions que “si le principe du versement de la commission est déclenché par l’atteinte des objectifs qualitatifs et quantitatifs assignés aux collaborateurs, le montant de celle-ci est proportionnel au pourcentage de réussite des objectifs”, sans davantage d’éléments chiffrés, ce qui n’est pas précis et ne ressort pas du dossier.

 L’employeur invoque également l’existence d’un “pool plan” dont a bénéficié le salarié et qui ne correspond pas, d’après l’employeur, à un commissionnement de type individuel que revendique le salarié mais qui prévoit la répartition par le manager d’une enveloppe d’après les résultats obtenus pour le Pool au niveau européen puis pour la France, entre les collaborateurs, en fonction de l’appréciation de leur contribution individuelle aux résultat obtenus, le salarié étant seul sur son périmètre comme indiqué précédemment de sorte que l’employeur ne peut s’appuyer sur un calcul de répartition d’autant plus qu’il indique ensuite que le plan de commissionnement du second semestre 2016 précise qu’il “ sera évalué sur des objectifs de chiffre d’affaires et de signature de contrats sur l’écosystèmes France pour le 1er semestre 2016. Vous serez évalué en fonction de votre territoire et de votre contribution individuelle suite à vos résultats.”, l’ensemble du système étant confus.

Si l’employeur se prévaut de ce qu’il n’a jamais mis le salarié dans l’impossibilité de remplir ses objectifs ou que le salarié a accepté de signer les plans de commissionnement prévoyant une répartition de l’enveloppe sur la base de l’appréciation du manager tenant compte de l’atteinte de ses objectifs, il ne produit, à l’appui de ses déclarations, aucun élément de calcul ou tableau détaillé, le tableau récapitulatif des commissions perçues par le salarié de 2017 à 2018 ne répondant pas à ces critères (pièce n° 81 de l’employeur).

Pas davantage, il ne justifie que le salarié n’était pas seul sur son périmètre, notamment en 2018.

 Pour l’année 2019, l’employeur a communiqué au salarié des explications sur le fonctionnement du

“ Plan d’établissement des quotas de l’équipe”, mais, comme indiqué précédemment, le salarié ne travaillait pas en équipe, étant seul affecté au secteur France.

 

Dès lors, l'employeur n’est pas en mesure de justifier des faits générateurs des commissions et du calcul de la part variable de la rémunération convenue pour chaque semestre.

 Enfin et surtout, le salarié se prévaut de la nullité des clauses potestatives et indique que l’employeur tente de lui opposer la clause de “transaction significative” lui donnant droit d’ajuster la rémunération du salarié de manière unilatérale, laquelle a été jugée à plusieurs reprises illicite car potestative de sorte que cette clause, reproduite dans les plans de motivation annuels successifs ne lui est pas applicable.

Il ajoute que l’employeur doit donc être condamné à lui payer les reliquats de commissions qu’il aurait dû percevoir conformément à l’atteinte de ses objectifs publiés et des modalités du plan de rémunération variable qui lui a été appliqué.

L’employeur réplique que ces plans de commissionnement, comme l’ensemble des plans d’IBM, contiennent une clause dite « transactions significatives » qui prévoit un ajustement dans certains cas mais que cette clause dont se prévaut le salarié, n’a pas été appliquée en l’espèce et qu’en tout état de cause, contrairement à ce que prétend le salarié, l’objet de l’ajustement prévu en cas de transaction significative est parfaitement légitime et n’est nullement subordonné à une condition potestative.

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Une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels. La variation de la rémunération ne doit pas dépendre de la seule volonté de l’employeur (cf. Soc., 2 juillet 2002, pourvoi n°00-13.111, publié).

Lorsque le salarié a droit au paiement d’une rémunération variable selon des modalités déterminées par l’employeur, celui-ci doit fonder sa décision sur des éléments objectifs et le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues. A défaut, il incombe au juge de fixer le montant de la rémunération en fonction de la pratique antérieure des parties et des éléments de la cause.

Par ailleurs, le paiement de la partie variable de la rémunération constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié.

En outre :

. l’article 1174 du code civildans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, dispose que toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige étant précisé que selon l’article 1170, la condition potestative est celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher ;

. l’article 1304-2 du code civil, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016, dispose qu’est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. Cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause.

Dans une sous-section consacrée à la nullité, l'article 1181 du code civil prévoit que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger. Elle peut être couverte par la confirmation. Si l'action en nullité relative a plusieurs titulaires, la renonciation de l'un n'empêche pas les autres d'agir.

 

En l’espèce, il ressort des plans de motivation de 2016 à 2017 que l’article 4.6 relatif à “ la clause significative” est rédigé comme suivant :

« Transaction significative : on entend par Transaction significative toute transaction ou affaire qui, à elle seule, serait supérieure au quota total de l’élément de rémunération variable concerné pour la période de validité du plan. Dans ce cas, le fonctionnement normal du présent plan s’en trouverait faussé, ce qui entraînerait un paiement disproportionné par rapport à la contribution réelle du collaborateur.

 

En conséquence et afin de rétablir l’équilibre rompu, la Direction d’IBM France se réserve la possibilité d’ajuster le paiement en se fondant sur la contribution réelle du collaborateur à la signature de cette Transaction Significative et/ou sur la relation entre ladite Transaction Significative et le potentiel du territoire pris en compte lors de détermination du quota. La Direction d’IBM justifiera decet ajustement.”.

 

Cet article est également repris dans la lettre d’objectif de chaque semestre de l’année 2019 dont le plan de motivation n’étant pas produit au dossier.

 

Il faut en déduire que les clauses litigieuses laissent arbitrairement à l’employeur de déterminer :

. si une transaction doit ou non être considérée comme « significative » ;

. et, dans le cas où l’employeur déciderait que la transaction est « significative », quel montant doit être accordé au salarié.

 

Comme indiqué précédemment, le détail du calcul de la rémunération variable ne ressort pas aisément des conclusions et des pièces de l’employeur de sorte qu’il n’est pas possible d’affirmer qu’en application des dispositions de cette clause, rappelées au salarié lors de chaque lettre d’objectifs, les commissions qu’il a perçues pour les années 2016 à 2019 n’ont fait l’objet d’aucun ajustement.

 

Ces éléments déterminants confèrent aux clauses litigieuses un caractère potestatif dès lors que la variation du plan de rémunération du salarié dépend de la seule volonté de l’employeur. En cela, ces clauses sont nulles.

 

Il s’ensuit que le salarié peut prétendre à la perception de l’intégralité des commissions qui lui sont dues sans que l’employeur puisse appliquer les clauses de « transaction significative » de 2016 à 2019.

 

En définitive, au vu de tout ce qui précède et donc pour plusieurs motifs, il sera fait droit aux demandes subsidiaires du salarié qui a calculé, après déduction des commissions effectivement perçues, le reliquat de commissions restant dû par objectif et par trimestre en fonction des pourcentages réellement atteints.

En revanche, la cour ne prend pas en compte dans le calcul du salarié les “accélérateurs du Team

Quotas Plan”.

En effet, le salarié ne justifie pas de 2016 à 2018 que s’appliquent à sa situation les dispositions relatives au “Team Quotas Sales Plan 55/45" de chaque plan de motivation qui prévoit notamment que “certains rôles commerciaux dont l’activité relève d’un plan High leverage 55/45, mais pour lesquels les mesures automatiques dans FMS n’existent pas, se verront appliquer le “Team Quotas Sales Plan 55/45 High leverage”, ce qui correspond à des accélérateurs de rémunération variable.

S’agissant plus particulièrement de l’année 2019, le salarié produit le plan d’établissement des quotas de l’équipe composée d’au moins trois membres par groupe et ne peut s’en prévaloir alors qu’il revendique que ses objectifs soient évalués sur un périmètre qu’il occupe seul (pièce n° 80 du salarié).

En conséquence, par voie d’infirmation du jugement, l’employeur sera condamné à verser au salarié les sommes suivantes à titre de rappel de commissions :

- 521 euros bruts pour l’année 2016 outre 52,10 euros bruts de congés payés afférents,

- 9 241,29 euros bruts pour l’année 2017outre 924,12 euros bruts de congés payés afférents,

- 12 283,66 euros bruts pour l’année 2018 outre 1 228,36 euros bruts de congés payés afférents,

- 10 436,92 euros bruts pour l’année 2019 outre 1 043,69 euros bruts de congés payés afférents.

2.2) Sur le rappel de rémunération variable de 2020 à 2023

Le salarié expose que le fait pour l’employeur d’avoir systématiquement depuis 10 ans et pour chaque semestre, proposé un plan de commission instaurant une rémunération variable composée de 30 % de son salaire cible a rendu obligatoire ce mode de rémunération, auquel l’employeur ne peut mettre fin sans son accord. Il explique qu’il a refusé les plans de commissionnement proposés pour ne pas prendre le risque de voir diminuer sa rémunération fixe et de ne bénéficier d’aucune rémunération variable car en application de la “quota letter”, il pouvait voir sa rémunération fixe diminuer en l’absence d’atteinte de ses objectifs.

Il ajoute que les objectifs lui ont été transmis tardivement, qu’ils n’étaient pas complets ou qu’ils étaient irréalisables.

L’employeur objecte que le salarié a refusé tous les plans de commissionnement proposés à compter de 2020, lesquels n’ont donc pas pu rentrer en vigueur, et que les commissions qui résultent d’avenants au contrat de travail et la proposition de plans de commissionnement prévoyant une répartition “70/30” ne peuvent constituer un usage qui empêcherait la Compagnie IBM France de proposer un autre plan de commissionnement.

 

Pour être qualifiée d'usage, présenter un caractère obligatoire pour l'employeur et constituer un élément normal et permanent du salaire, la gratification doit réunir trois critères cumulatifs, être constante dans son attribution c'est-à-dire versée un certain nombre de fois; fixe, c'est-à-dire calculée toujours selon les mêmes modalités même si son montant est variable; et générale, c'est-à-dire attribuée à l'ensemble du personnel.

En l’absence de fixation des objectifs, ou en cas d’objectifs non réalisables, ou encore en l’absence de concertation avec le salarié pour cette fixation ou si ces objectifs n’ont pas été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice, l’employeur est tenu de verser à ce dernier l’intégralité de sa rémunération variable contractuelle comme s’il avait atteint l’entièreté de ses objectifs ( Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-20.978, publié).

Au cas présent, il est rappelé que le contrat de travail ne prévoit pas que le salarié perçoive une rémunération variable, qui lui a cependant été versée chaque année entre 2010 et 2019, le salarié ayant accepté les plans proposés, ce qui n’a plus été le cas à compter du 1er semestre 2020.

En l’occurrence, se pose la question non pas du versement ou non d’une rémunération variable mais de la possibilité pour l’employeur de modifier pour les salariés le contenu du plan sans acceptation de leur part, cette modification ayant toutefois un impact sur la rémunération totale du salarié, et étant rappelé que le salarié a refusé systématiquement de signer la lettre d’objectifs à compter de 2020, qu’il n’existe aucune clause contractuelle sur la rémunération variable mais que l’employeur a attribué au salarié , depuis 2010 une rémunération variable d’après des lettres d’objectifs qu’il appelle d’ailleurs parfois “ avenants”.

S’agissant de la modification des modalités de versement de la part variable, le salarié dénonce avoir reçu tardivement, le 5 mars 2020, sa lettre d’objectifs, laquelle, pour la première fois depuis 10 ans, modifiait la répartition de sa rémunération entre son salaire fixe et son salaire variable en diminuant la proportion de son salaire fixe qui n’était plus que de 55 % de sa rémunération cible.

Si par courriel du 6 mars 2020 réitéré le 16 mars 2020 le salarié indique ne pas accepter la “ quota letter” car elle implique une diminution de sa rémunération fixe de 21 % à poste égal, sa supérieure hiérarchique lui a répondu le 19 mars 2020 que le plan précédent n’existe plus et qu’un nouveau plan est proposé aux commerciaux occupant le même type de fonction que le salarié en Europe et qu’il ne s’agit pas “ d’une mesure individuelle”.

Dès lors, les nouvelles modalités appliquées à l’ensemble des salariés de la Compagnie IBM France relevant du même emploi, trouvaient également à s’appliquer au salarié, sauf à soutenir, ce qui va être examiné ensuite, que leur déclinaison ne lui convenait pas.

En tout état de cause, si le salarié invoque le risque d’une diminution de la part fixe de sa rémunération en raison de la mise en place d’un nouveau système de primes, il convient de relever que janvier 2020 à mai 2023, la part fixe du salaire du salarié n’a pas diminué (pièces n° 95-131 et 176).

S’agissant des lettres d’objectifs proposées au salarié, c’est une chose que l’employeur détermine les objectifs servant au calcul de la rémunération variable mais il convient ensuite d’examiner, si d’après les modalités de calcul des objectifs servant au calcul de la rémunération variable déterminées par l'employeur, le salarié a été en mesure de vérifier le calcul de sa rémunération variable par la fixation d’objectifs clairs.

Le salarié se prévaut à compter de 2020 de la tardiveté de la communication des objectifs, de leur caractère irréalisable et de l’absence d’informations précises.

Ainsi, la “quota letter” pour l’année 2020 a été communiquée tardivement au salarié qui l’a réclamée le 24 février 2020, et il n’est pas contesté que les méthodes de détermination des objectifs n'étaient connues qu’en cours de semestre puisqu’elles dépendaient des résultats en cours ( pièce n° 97-1 du salarié).

Mais surtout, pour l’ensemble de l’année 2020, le salarié dénonce à nouveau, à juste titre, l’absence de précision dans la fixation des objectifs et des modalités précises de calcul de sa rémunération variable, notamment le fait que les objectifs de revenu et de signatures ne sont pas précisés par trimestre dans la Quota Letter, alors qu’ils sont payés par trimestre selon les réalisations des objectifs trimestriels pour 85 % des commissions ( pièce n° 114 du salarié), sa supérieure hiérarchique répondant qu’elle pouvait désormais faire mentionner le découpage de ses objectifs trimestriels dans la lettre d’objectifs du salarié sur ce point.

La Quota Letter intitulée “ Incentive Plan Letter” du second semestre 2020, entièrement en langue anglaise, est très succincte et ne comprend pas d’objectifs chiffrés clairement exprimés, et il en est de même pour la lettre d’objectif du second semestre 2021 (pièces n° 118 et 132), ce qui n’est plus le cas en 2022, sachant que le document est toujours en anglais, et qu’il est peu lisible en raison de sa technicité (des listes de chiffres ne comprenant que des zéros), l’employeur n’ayant pas produit ces pièces et ne les ayant pas traduites. En tout état de cause, les objectifs du second trimestre n’ont été communiqués au salarié que le 7 septembre 2022.

La lettre d’objectif du premier semestre 2023 versée au dossier par l’employeur, toujours en langue anglaise et non traduite, ne comprend quasiment pas de données chiffrées et il n’en ressort pas que l’employeur a fixé des objectifs quantitatifs détaillés (pièce n° 137 de l’employeur).

Enfin, il n’est pas contesté que le salarié a vu son périmètre réduit pour le premier semestre 2023 en passant de 326 à 216 comptes, ce qu’il a dénoncé à l’employeur par courriel du 17 mars 2023 en expliquant que les objectifs devenant difficiles à atteindre, sa rémunération serait diminuée, l’employeur répondant le 23 mars 2023 que “ j’ai à nouveau répondu à tes interrogations en te rappelant ce que je t’avais déjà dit. Je te demanderai donc de cesser d’alimenter la polémique sur des sujets qui n’en sont pas” (pièce n° 109 de l’employeur).

En raison de la tardiveté de la remise de plusieurs lettres d’objectifs, de ce que l’employeur ne justifie pas que ceux-ci sont clairs, précis ou atteignables, l'employeur n’établit pas avoir régulièrement fixé les objectifs pour chaque semestre de référence notamment dans le cadre du nouveau système de répartition de la rémunération dont le salarié devait connaître les déclinaisons en termes salariaux.

 Dès lors, s’il appartenait à l’employeur de définir les critères du plan de commissionnement pour les salariés, il lui appartenait également de permettre au salarié de décliner concrètement à sa situation personnelle les conséquences des modifications intervenues sur sa rémunération variable, ce qui n’a pas été le cas.

 Dans ces conditions, c’est à juste titre que le salarié a refusé de signer les lettres d’objectifs et il sollicite le versement de la rémunération variable qu’il avait usage de percevoir, quand bien même ce versement n’était pas prévu au contrat.

 Il ressort des éléments du dossier que la rémunération variable versée par semestre au salarié a résulté d’un usage en raison de sa constance, ayant été versée de façon répétée pendant dix années, de sa fixité, ayant été versée sur une base de calcul identique et enfin de sa généralité puisqu’elle a été accordée à toute une catégorie de salariés dont relevait M. X.

L'existence d'un usage est donc établie.

Il convient en conséquence de condamner l’employeur à verser au salarié un rappel sur rémunération variable calculé d’après les conditions précédentes, à savoir sur la rémunération variable de 30 % de sa rémunération cible correspondant à 16 122 euros bruts par semestre et de condamner, par voie d’infirmation du jugement, de la façon suivante :

- 32 244 euros bruts pour l’année 2020 outre 3 224 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 32 244 euros bruts pour l’année 2021 outre 3 224 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 32 244 euros bruts pour l’année 2022 outre 3 224 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 16 072 euros bruts au titre du premier semestre 2023 outre 1 607,20 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Pour lire l’intégralité de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, cliquez sur le lien ci-dessous

https://www.legavox.fr/blog/frederic-chhum-avocats/condamnee-payer-euros-sales-specialist-36505.htm

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)

e-mail: chhum@chhum-avocats.com

www.chhum-avocats.fr

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