Salariés, cadres : l’interruption de la prescription par la saisine du Conseil de prud’hommes : attention, l’employeur peut aussi s’en prévaloir (Cass. Soc. 9 juillet 2015)
La saisine du Conseil de prud’hommes interrompt la prescription à l’égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de travail, elle interrompt également la prescription à l’égard de toutes les demandes de l’employeur. C’est ce que vient de juger la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2015 (n°14-10.536).
La Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence selon laquelle la saisine du Conseil de prud’hommes interrompt la prescription pour toutes les demandes relatives à l’exécution du même contrat de travail. Seulement, pour la première fois à notre connaissance, la Cour applique cette solution au profit non pas du salarié mais de l’employeur.
En effet, le 23 février 2011, l’ancien Directeur général d’une société a saisi le Conseil de prud’hommes afin de contester son départ en retraite et d’obtenir sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que le paiement de diverses sommes au titre de la rupture.
Le 4 septembre 2013, son ancien employeur a formé une demande reconventionnelle en restitution d’un trop-perçu de rémunération.
La question qui se posait alors à la Cour de cassation était celle de savoir si le délai de prescription, alors de 5 ans s’agissant de la restitution du trop-perçu de rémunération, avait été interrompu par la saisine du salarié (le 23 février 2011) ou par la demande reconventionnelle de la société (le 4 septembre 2013).
1) La saisine du Conseil de prud’hommes interrompt la prescription à l’égard de TOUTES les demandes relatives au même contrat de travail
La prescription qui pourrait se définir comme la perte du droit d’agir en raison de l’inaction prolongée du titulaire de ce droit, est un concept juridique difficile à maîtriser et dont les effets sont pourtant irréversibles.
En droit du travail, les délais de prescription ont été réformés par la loi dite de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (n°2013-504) et diffèrent en fonction de la nature des demandes.
Au moment du litige, le délai applicable aux rappels de salaire était de cinq ans. (article L.3245-1 ancien du Code du travail)
Toutefois, conformément aux principes de procédure civile, les délais de prescription peuvent être interrompus par l’introduction d’une action en justice. (article 2241 du Code civil)
En droit du travail se posait la question de savoir si la simple saisine du Conseil de prud’hommes (qui ne nécessite que le dépôt ou l’envoi par lettre d’un formulaire au greffe du Conseil compétent) pouvait interrompre la prescription de la même manière qu’une assignation ou une requête, actes beaucoup plus formalisés.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme de manière claire et non équivoque que la saisine du Conseil de prud’hommes interrompt la prescription à l’égard de TOUTES les demandes relatives au même contrat de travail :
« Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail ».
2) Même s’il n’est pas à l’origine de la saisine, l’employeur peut également se prévaloir de cette règle
La Cour d’appel avait respecté ce principe mais en avait réservé le bénéfice au salarié.
En effet, les juges de la Cour d’appel avaient estimé que, si la saisine du Conseil de prud’hommes interrompait la prescription à l’égard des demandes du salarié, la prescription à l’égard des demandes de l’employeur n’était quant à elle interrompue qu’à compter de la formulation d’une demande reconventionnelle (soit le 4 septembre 2013 en l’espèce). Elle avait donc rejeté les demandes de la société s’agissant de la période antérieure au 4 septembre 2008.
Pourtant, la Cour de cassation en a décidé autrement et a, par cet arrêt du 9 juillet 2015, étendu la solution au profit de l’employeur.
Aussi, alors même que celui-ci n’est pas à l’origine de la saisine du Conseil de prud’hommes et n’a formulé de demande reconventionnelle que deux ans plus tard, la Cour de cassation affirme que la prescription à l’égard de la demande de restitution d’un trop-perçu de rémunération avait été interrompue dès le 23 février 2011 (date de la saisine du Conseil de prud’hommes par le salarié).
Dès lors, elle affirme que la société est fondée à réclamer la restitution de ce trop-perçu depuis non pas le 4 septembre 2008 mais le 23 février 2006, ce qui n’est pas négligeable en termes financiers.
Il convient donc de retenir de cette décision que si la saisine du Conseil de prud’hommes interrompt la prescription à l’égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de travail, elle interrompt également la prescription à l’égard de toutes les demandes de l’employeur.
Frédéric CHHUM Avocat à la Cour
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